En France, depuis 2009, cet Objet Web Non Identifié est devenu l’envahisseur numéro un du journalisme digital ou, si vous aimez mieux, du journalisme produit par des internautes. Il fut créé en 2009 suite à la campagne d’opposition à la loi Hadopi, qui visait, selon le réseau La Quadrature du Net, « à réprimer le partage d’œuvres culturelles sur Internet ».
Issu d’une poignée de cyberactivistes, Owni.fr s’est donc bâti principalement à partir d’une large base de blogueurs qui nourrissaient d’informations le vaisseau-mère et de quelques professionnels qui construisaient à partir de ces sources. Après 2 ans, c’est près de 700 collaborateurs (blogueurs, journalistes indépendants, agrégateurs) qui fournissent en données ces nouveaux professionnels du journalisme de données.
Comme le soulignait le journal Libération, c’est à « la mise en scène de l’info par des outils web » que nous convie le projet et c’est une confrérie d’une trentaine de personnes qui orchestre cette information. Aucune publicité ni aucun revenu tiré de la vente d’information. Pas d’entreprise de presse ni d’État à l’horizon. Bref, l’information circule librement dans ce véritable laboratoire d’innovations en matière d’information sur le web. Se côtoient au sein du réseau qualité de l’information, design et ergonomie, décentralisation des sources, diversité d’opinions et rigueur journalistique. C’est d’ailleurs pour ces raisons que les Online Journalism Awards l’ont couronné dans la catégorie « meilleur site en langue non anglaise ».
Du média de masse à la masse de médias
Il s’agit donc ici de l’une des initiatives qui auront le mieux réussi à constituer ce qu’Ignacio Ramonet, journaliste connu internationalement, définit comme « le cinquième pouvoir », ce nécessaire contre-pouvoir qui serait à même de diffuser et de revendiquer les idéaux et désirs de la société civile. Owni.fr, de par sa nature agglomérante, réussit à retenir assez de la masse de médias créée par la révolution Internet pour s’opposer au quatrième pouvoir.
Il ne faut par contre pas négliger l’élément quantitatif qui donne une longueur d’avance à ce dernier. Si on les compare aux 2 millions d’abonnés au compte Twitter du New York Times, il ne fait aucun doute que les quelque 5000 visiteurs quotidiens d’Owni.fr ne créent pas l’effet domino nécessaire pour permettre la diffusion démocratique auquel le « cinquième pouvoir » aspire. Ceci dit, le modèle d’affaires des médias de masse n’en a que pour quelques années encore et le modèle innovateur qu’Owni.fr a su mettre de l’avant, avec son expertise propre, a tout pour faire pencher la balance.
La masse de médias, qui s’impose peu à peu avec la prolifération des blogues, des médias sociaux, des fils de nouvelles et du développement des outils d’« intelligences collectives » tels que Wikipédia, change en temps réel le paysage médiatique. L’élément le plus convainquant de ce changement réside dans les valeurs que portent ces nouvelles formes de communication : collaboration, interactivité, diversité, transparence et économie sociale. C’est un renversement total des valeurs qui dominent l’univers des médias et qui le structurent. Le 21e siècle verra naître, si des projets comme Owni.fr se maintiennent et sont utilisés, un cinquième pouvoir avec de la gueule… et du mordant.
Les auteurs travaillent pour le Collectif régional d’éducation sur les médias d’information (CRÉMI).