BUNGALOW (2/2)

Date : 20 avril 2023
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Le film de Lawrence Côté-Collins est toujours en salle.

D’ailleurs, le journal Entrée Libre s’est entretenu avec la réalisatrice et co-scénariste Lawrence Côté-Collins, le co-scénariste Alexandre Auger et l’acteur Marc-André Boulanger pour une entrevue, inédite, comme le film d’ailleurs.

Souley Keïta : Je vais commencer par ma traditionnelle phrase, celle où vous vous présentez :

Lawrence Côté-Collins : Je travaille comme réalisatrice en télévision depuis plus de 20 ans, mais également en cinéma depuis 2004. J’ai grandi comme cinéaste au sein du Kino, dans ce mouvement de cinéastes. Par ailleurs, j’ai fait un court-métrage financé, un seul dans la quarantaine de courts-métrages que j’ai fait. Oui, un seul en 2009, qui s’appelle Scoreet dans lequel j’avais eu une première collaboration avec Guillaume Cyr, que l’on retrouve dans Bungalow. 

J’ai fait du court-métrage vraiment longtemps, puis après cela, j’ai réalisé mon premier long-métrage Écartée, qui est sorti en 2016. Ce fut un long-métrage micro-budget (50000 dollars) avec seulement une bourse du CALC et du financement en postproduction avec la SODEC qui nous a aidés à terminer le film parce que je n’étais pas capable de faire financer mon faux documentaire sur un vrai ex-détenu et des acteurs non professionnels. Ce que je veux dire par cela, c’est que ce sont des artistes qui étaient à l’écran et non des vedettes. Ce film a été pénible à faire financer, mais finalement il a trouvé sa place sur quelques écrans durant deux semaines. Après il faut savoir que le budget de distribution est en lien avec le budget du film, si on n’a pas de budget pour faire le film, on n’a pas de budget pour le distribuer. Tout de même cela m’a fait une carte de visite et c’est un film qui s’est démarqué dans quelques festivals, j’ai gagné un prix au festival Fantasia et deux nominations aux IRIS… à l’époque où il y avait encore le gala Québec Cinéma. C’est un film en poche qui m’a permis de faire mes demandes de financement pour Bungalow. D’ailleurs, j’ai commencé à écrire ce film pendant que je faisais Écartée. Bungalow est un peu ma vie, j’ai grandi plus jeune dans les rénovations, car mes parents achetaient des maisons pourries qu’ils rénovaient, puis les vendaient un peu plus cher. Mes photos d’enfance, c’est moi en couche avec un tournevis dans les mains et des bottines de constructions (rires). Les rénovations sont parfois très mauvaises pour un couple, mes parents se sont séparés lorsque j’avais six ans. Ma mère était une toxicomane de rénovation et décoration, donc j’ai toujours grandi dans des environnements intenses, colorés et cela se ressent dans Bungalow. 

Je suis l’artiste classique, ordinaire qui parle de ces traumas, de ces bobos, de ces vidanges, de ces anxiétés et je mets tout cela au cinéma.

Alexandre Auger : Je suis arrivé un peu par hasard en tant que scénariste. D’ailleurs, je trouve cela fou avec ce qui se passe actuellement avec l’IA (Intelligence Artificielle) parce que j’ai commencé par cela et en étudiant la science informatique et l’IA. J’ai tout arrêté d’un coup et je me suis retrouvé à vouloir faire des films, d’abord en montage, puis en scénarisation. Je n’ai pas étudié la scénarisation, puis à force de travailler en montage et en voyant que certaines histoires ne fonctionnaient pas, je me suis mis à m’intéresser à cela, puis à écrire et à force d’écrire, je retrouvais un peu les mêmes rouages que je faisais en IA. Je ne sais pas si tu as déjà vu des codes informatiques, mais cela ressemble un peu à un scénario, puisque le but du code informatique est qu’il soit le plus intelligent possible pour que la machine puisse le prendre le plus facilement et le plus vite possible. Créer un scénario rentre dans ce même cas de figure, car il se doit d’être le plus fluide possible et que toute l’équipe d’un film puisse travailler le plus simplement. Si au début de ma carrière on m’avait dit que je serais scénariste, je n’y aurais même pas cru.

Souley Keïta : Premières images, première question. Il y a du fun de voir que parfois tout nous répugne dans ce lieu et que ces deux personnages tentent, coûte que coûte, de rentrer. Est-ce que notre monde, aseptisé, juge sans cesse par ce que les images renvoient?

Lawrence Côté-Collins : Mon Dieu, on vit dans un monde d’apparences. Tout n’est qu’apparence, car on vit dans un monde où l’on se doit de porter des masques, dans un monde où il y a beaucoup d’hypocrisie et où il faut faire semblant d’être heureux. Il faut flasher notre bonheur. Nous sommes dans une époque où nous sommes tous des produits qui essayons de se démarquer des autres. Il faut sans cesse être meilleurs que les voisins dans ce monde très compétitif et cela dans tous les domaines. Est-ce que c’est voué à l’échec? Sans doute.

Souley Keïta : À travers Bungalow, il y a la nécessité de mettre des personnages qui sortent d’un monde aseptisé. Comment peut-on percevoir le tien?

Marc-André Boulanger : Je pense que mon personnage vient d’une sous-majorité qui fait partie de la société de tous les jours. Je pense qu’il y a la société fonctionnelle qui est visible aux yeux du grand public et le monde interlope, obscur qui travaille en gagnant leur vie pas de la meilleure des façons. Je crois que ce personnage, qui est un opportuniste, ne fait que gagner sa vie. Ces opportunités, il les gère du mieux qu’il peut et il en offre aussi aux autres, afin de leur donner une porte de sortie. Est-ce qu’il fait partie de cette société aseptisée, socialement fonctionnelle, cloîtrée dans la quête d’acceptation ou assimilation? Je ne crois pas vu est hors-norme dans la façon de gagner sa vie, mais il y a une normalité dans son monde à lui, qui est simplement de gagner sa vie pour tenter de survivre.

Souley Keïta : On se retrouve dans un cinéma underground, dans un cinéma de la contre-culture, qu’est-ce qui est venu te chercher dans le scénario de Lawrence et Alexandre?

Marc-André Boulanger : J’ai eu la chance d’explorer d’autres sphères et Lawrence m’a laissé cette opportunité. J’ai apprécié, car même si j’ai tendance à explorer ces sphères, de projeter ces différentes attitudes, la voix reste la même, tout comme le faciès et je pense que le personnage de Tattoo est venu me chercher puisqu’il essayait d’être humain parfois. Je me reconnais beaucoup dans les choix de vie de Tattoo, parce que j’ai parfois fait de très mauvais choix de vie. La difficulté est que j’ai eu un parcours qui a été comme des montagnes russes dès la fin de la vingtaine. Ce personnage est venu me chercher par le fait qu’il se plonge avec un optimisme aveugle pour cultiver un rêve sans avoir conscience des conséquences qui vont nous impacter et je pense que dans ce film, le public va se reconnaître dans un élément qu’il a sans doute fait au cours de sa vie. 

Souley Keïta : En tant que scénariste, tu t’es attaqué au cinéma underground, à travers ton processus d’écriture, qu’est-ce qui a été le plus marquant? Qu’est-ce qui fait que cette histoire t’est propre? Quelles ont été tes références cinématographiques?

Alexandre Auger : Dans la proposition de Lawrence, il y avait une réflexion que je trouvais intéressante sur les classes sociales, sur la hiérarchie. Réflexion qui fait partie de ma démarche et qui m’affecte profondément, que ce soit par rapport à ma vie, à mon milieu qui est assez pauvre et où j’ai côtoyé une certaine forme de richesse, donc j’ai été privilégié de changer de classe sociale. Je suis un transfuge de classe. Dans le film de Lawrence, il y a cela, avec ces gens qui sont coincés. Ensuite les personnages, l’humour noir sont toutes des choses qui me plaisaient. Ensuite écrire une bonne histoire est évident. Je dirai que les thèmes de l’argent, de l’endettement et des classes sociales me parlent fortement.

Souley Keïta : Il y a sans cesse un format en 4:3, qui nous confine, qui nous enferme. Il y a ce choix d’être sans cesse en intérieur, peux-tu nous en dire plus.

Lawrence Côté-Collins : Je trouve que la vie est très carcérale. On est enfermé dans un système capitaliste dans lequel nous sommes obligés d’en faire partie et on est enfermé dans nos jobs, dans nos vies, dans nos têtes, dans nos relations, nos dettes ou le jugement des autres. Ce sont toutes ces cases dans lequel nous sommes coincés. Pour moi la vie est une mise en abîme comme les poupées russes. La prison est quelque chose d’ultime qui te retire toute liberté avec la petite poupée au cœur. Je vois le carcéral partout et lorsque j’étais jeune, j’étais très en colère d’être en vie.

Marc-André Boulanger : C’est un film très carcéral, au niveau de la relation, de leur endettement, de leur travail. Le film est étouffant, on peine à respirer. Le brin de liberté nous est coupé sous le pied.

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